LA FIN DE LA BARONNIE DE VIBRAC

   

                 Revenons aux affaires privées et au début de la Révolution.

                Après les troubles du début de l'année 1792, des bandes armées se répandent dans le pays pour ravager les châteaux, symboles de l'ancien régime, et brûler les titres de propriété des anciens seigneurs. Valfons est dévasté puis Vibrac dont il ne reste plus que les murs de façade et les voûtes du premier étage.

                Pourtant, vivant à Montpellier, peut-être ouvert aux idées du siècle, le baron Jacques-Louis Duranc de Vibrac était resté en France après le début de la Révolution.

                Quelques années plus tard, en 1812, le Préfet du Gard dans une note confidentielle précise: 

                Marié, sans enfant, il est dit "généreux et honorable", homme de plaisir, s'est ruiné plusieurs fois.

 

                Est-ce pour rebâtir son château ou parce qu'il était ruiné que le citoyen Jacques-Louis Ranc, ci-devant baron de Vibrac, vend une partie de ses terres au citoyen Jacques Castanier ?

                En effet, le 8 frimaire an III de la République Française Une et Indivisible (28 novembre 1794), l'acte de vente est établi à Villesèque par Me Julien, notaire à Sauve, en présence du citoyen François Ferrand, maire de la commune. La transaction s'est élevée à 24 000 livres et a été payée en assignats nationaux. D'après l'acte, cette propriété d'environ 150 hectares correspondait à la partie ouest de la commune, la limite du côté du couchant étant le cours du Crieulon du confluent avec le Vassorgues jusqu'au pont à côté du mas de l'Eglise ; les autres limites sont plus difficiles à décrire car elles sont définies par rapport aux autres propriétés sans plan à l'appui puisque le cadastre, tel que nous le connaissons, n'a été créé que quelques années plus tard.

 

                Qui était ce Jacques Castanier devenu gros propriétaire à Saint-Jean-de-Crieulon ?

                Négociant, il faisait partie de ces hommes qui, par leur travail, avaient acquis une certaine aisance mais que l'organisation du royaume, avec ses trois ordres issus de la féodalité, confinait dans un rôle subalterne. La Révolution va modifier cela.

                Né en 1737 dans la paroisse de Saint Roman de Codières, son père était rentier (fermier) au masage du Cayla situé à 500 mètres d'altitude à trois kilomètres au nord de Sumène. A voir ces mas isolés dans la montagne, on comprend mal comment les habitants pouvaient survivre avec les châtaignes et les moutons ; l'exil des cadets était l'une des solutions s'ils ne voulaient pas être condamnés au célibat et à la condition de domestiques du frère aîné qui, en général, héritait de la totalité des biens familiaux. Cette pratique explique aussi les mariages croisés, la sœur épousant le frère de sa belle-sœur, ce qui évitait de verser une dot.

 

                Ce qui précède explique qu'ayant trois frères plus âgés, Jacques Castanier quitte le mas du Cayla pour devenir faiseur de bas à Nimes puis marchand de bas. Son frère Louis quitte aussi le Cayla pour se marier en 1758 à Sauve et y faire souche ; il est cet artisan maçon qui a fait la première offre pour les travaux de la maison presbytérale dont nous venons de parler.

                En 1768, Jacques Castanier épouse à Anduze Marie Chabaud, héritière d'une dynastie de cordonniers qui, issue de Saint Jean de Serres, vint s'établir à Anduze au début du XVIIIème siècle. Il est à supposer que la fréquentation des célèbres foires avait amené ce marchand de bas à Anduze où il s'établit comme négociant après son mariage.

                Son livre de comptes est une précieuse source de renseignements sur le négoce à cette époque. On y apprend que du 30 juillet au 1er août 1789, il était à la foire de Beaucaire, l'une des plus importantes dans tout le Languedoc. Il y mène des transactions pour divers clients achetant des balles de chanvre, des sacs de riz, du savon, du café, du blé dur, des barils et même des livres comptables, le tout pour un chiffre d'affaires de 25800 livres. Somme supérieure au prix de la propriété qui sera achetée à Villesèque cinq ans plus tard, c'est dire l'importance des affaires traitées. La nouvelle de la prise de la Bastille était, sans doute, parvenue à Beaucaire mais ne paraît pas avoir perturbé le déroulement de la foire.

                Hors des grandes foires, Jacques Castanier semble s'être spécialisé dans le commerce du blé et du sel entre Lunel et Anduze, sa résidence jusqu'en 1806 avant de venir s'établir à Villesèque où il mourut en 1815.

 

                Un relevé cadastral de 1813 indique que sa propriété comportait alors :

                 63 hectares de pâtures, 50 de bois, 24 de terres labourables, 1 hectare 50 ares de vignes, 87 ares de mûriers et 80 ares d'oliviers.

                On peut constater que la répartition des cultures est sensiblement la même qu'en 1750, les vignes ne représentant toujours que 1% de la surface cultivée. Plus tard, le développement des moyens de transport en permettant d'exporter la production, entraînera la quasi-monoculture actuelle.

 

                De son mariage avec Marie Chabaud, Jacques Castanier avait eu neuf enfants nés entre 1769 et 1784. Jacques fils, né en 1772, fut le seul à atteindre l'âge adulte et il épousa, en 1793, Marguerite Pascale Julien, fille de Jean-Pierre Julien, potier d'étain à Anduze comme ses ascendants.

                Au décès de son père, Jacques Castanier, second du nom, hérite de la propriété de Villesèque où il vit avec sa famille.

                Lui aussi négociant, il commerce avec Lunel, Nîmes, Saint Hippolyte du Fort, Sumène et, au trafic du blé et du sel, il joint celui de la graine de ver à soie en s'appuyant sur un réseau constitué de cousins Castanier établis à Sauve, Saint Hippolyte et Sumène ou restés dans les mas isolés autour de Sumène : le Cayla, le Castanet des Perdus.... 

                Pour s'occuper de ses terres, il engageait des brassiers. En 1825, la salaire annuel était de 180 francs porté à 192 en 1826, moyennant quoi ledit Jeannot a droit à quatre journées pour aller travailler son propre bien, mais "en dehors du temps des semences ou celui des récoltes", de plus, il est blanchi. Mais si Jeannot tombe malade, le contrat est rompu et il doit indemniser son employeur pour les journées perdues. Bienheureux soient les créateurs de la sécurité sociale!

                Pour soigner son troupeau, il engage un berger et, en 1831, Joseph Lacoste emmène estiver un troupeau de 350 bêtes dont 105 agneaux pour un salaire annuel de 200 francs plus 6 francs d'étrennes "si je suis satisfait de lui".

 

                De son mariage avec Marguerite Pascale Julien, Jacques Castanier avait eu quatre enfants :

- Jacques, né à Anduze, mort à Villesèque âgé de 20 ans ;

- Angélique, née à Anduze en 1800, épouse à Villesèque en 1821 Antoine-Etienne Julien, professeur de mathématiques au collège d'Alais, cousin germain de Marguerite Pascale Julien devenue ainsi sa belle-mère ;

- Séraphine, née à Anduze et morte à Villesèque en 1809 agée de 3 ans ;

- Justin Félix, né à Villesèque en 1808, y fera souche après avoir épousé Antoinette Dumas de Saint Jean de Serres. Son fils étant décédé sans postérité, le nom disparaîtra au début du XX ème siècle.

                Veuf en 1829 et perdant sa belle-mère en 1830, Jacques Castanier, dans le cadre du règlement de ces successions, partagea ses biens entre ses enfants survivants à charge de lui servir une rente annuelle de 1200 francs. Partage confirmé en 1832 quand il résolut de se remarier avec Catherine Clothilde Poulon originaire de Durfort et âgée de seulement quarante ans..

                En bon négociant, avant cet ultime partage, il fait une estimation précise de ses biens mobiliers et de la part de récolte due sans oublier la fatigue du cheval utilisé aussi par le fils et le défaut de jouissance entraîné pour le légitime propriétaire. Le livre de comptes nous renseigne sur les productions de la propriété: sainfoin, millet noir, gros blé, huile, légumes secs, pommes de terre et charcuterie.

 

                En sa qualité de fils, Justin eut droit aux deux tiers de la propriété y compris la maison sise au milieu du village, sa sœur le reste des terres mais dépourvu d'habitation.

                C'est pourquoi Antoine-E. Julien et sa femme Angélique résolurent de faire construire, un peu à l'écart du village, une bâtisse, au toit à quatre pentes surmonté d'un clocheton initialement pourvu d'une fenêtre ouvrant à chaque point cardinal, entourée de cyprès qui, au fil des ans, donnèrent belle allure à l'ensemble d'où le nom de "château" donné dans le village à cette maison achevée en 1835.

                Les relations entre les deux beaux-frères, Justin Castanier et A.-E. Julien, n'étaient pas toujours faciles et la construction de la maison entraîna un échange de lettres aigres douces car Justin trouvait qu'elle était trop proche de la ferme qu'il venait de faire bâtir.

 

                Jacques Castanier vécut encore seize ans et devint l'instituteur des communes de Saint Jean de Crieulon et de Saint Nazaire des Gardies.

                L'instruction, à l'époque, n'était ni obligatoire ni gratuite. L'instituteur fournissait, à titre onéreux, les plumes, l'encre, les cahiers, les livres et même éventuellement le cartable.

                En 1841, le livre de comptes permet de connaître le nom des enfants qui suivaient la classe. Monsieur Ferrand y envoyait son fils Léonce, de même Cazalis de Beaucous, Durand le manouvrier, Picard le maçon, Plantier le maréchal, Paul Gautier du moulin de Beaucous, Rigal Maître valet à Vibrac, Devillas, Rigal dit soldat de Villesèque, Bruguier, Astruc et Thomas Souche ses quatre fils. En raison du coût, on peut comprendre que l'instruction des filles soit, généralement, jugée superflue.

 

                En effet, par une délibération municipale du 8 mai 1842, nous connaissons le montant des rétributions mensuelles dues par les parents d'élèves :

- ceux qui apprennent le calcul.................2,25 francs

- ceux qui apprennent à lire et à écrire....... 2 francs

- ceux qui apprennent à lire uniquement.........1,25 franc

                "Les adultes qui se rendront le soir à l'école pour y prendre une leçon d'une heure payeront comme les autres y compris l'éclairage fourni par l'instituteur."

                Si on compare ces chiffres aux salaires mentionnés plus haut pour les travailleurs de terre ou les bergers, même augmentés à 250 francs dix ans plus tard, soit environ 21 francs par mois pour ce qui devaient être l'équivalent du SMIG moderne, on voit que l'instruction d'un enfant pouvait représenter 5 à 10% du revenu mensuel pour les plus défavorisés. Merci Jules Ferry.... mais il faudra attendre encore 40 ans!

                  Les parents payaient directement l'instituteur, parfois en nature. Ainsi le compte ouvert pour Thomas Souche, le 1er mai 1841, est très instructif à cet égard :

" Doit Thomas Souche pour l'instruction de ses enfants : les deux plus jeunes Henri et Jules ont commencé le 1er mai 1841, Ferdinand après le ver à soie, Philippe après la moisson ; il a reçu deux cahiers, un chemin de la croix, un sac, un catéchisme... plus un cartable, plus demi-main de papier, une plume métal plus pour l'encre abonné à un sol par mois plus un crayon plus pour un chemin du ciel......................   

.....doit au total.............................................46,00 francs

avoir reçu de Thomas 62 quintaux de bois.....37,20 francs

                                           Reste dû............ 7,80 francs(sic)"

                Pour un ancien négociant... se tromper en sa défaveur....

 

                A partir de 1847, le système a changé et les parents paient au percepteur qui mandate l'instituteur sur avis signé du maire de la commune ; dix élèves suivent les cours de l'école primaire. Pour obtenir son dû, l'instituteur doit écrire à la sous-préfecture du Vigan pour faire accélérer les choses.

Il meurt en 1848, âgé de 76 ans. La vraie retraite avait sonné.

 

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