Acte I
Scène 4
Les mêmes
Montcalm
Qu'as-tu donc, cher d’Assas, oh ! Parle à ton ami.
d'Assas
Je n'ai fait que songer cette nuit, et ma peine
Malgré tous mes efforts ne peut pas s'adoucir
Plus je pense aux chagrins que je veux éclaircir
plus je sens un effet de douleur surhumaine.
J'ai vu dans les tourments d'un sommeil agité
Comme un reflet vivant de songe prophétique
Et dans un livre noir au mirage mystique
J'ai vu toujours, hélas, lu la vérité..
J'ai vu, dans les combats, la gloire de nos armes
Tout d'abord rehausser le vrai renom français
Puis de nombreux revers, de sanglants insuccès
Ont porté dans mon coeur de mortelles alarmes.
Par une sombre nuit, sur la rive du Rhin,
Notre ennemi voulait à tout prix nous surprendre
Mais un héros français noblement se fit prendre.
Sa mort sauva l'armée. Ah ! quelle noble fin
Cher Montcalm, je voudrais que notre destinée
Nous valut à tous deux ce glorieux bonheur
Et que nos noms unis comme l'est notre coeur
Furent les noms bénis d'une telle journée.
Qu'est la vie, en effet, dans sa fragilité
C'est un pale rayon qui reluit et qui passe,
Tandis que le héros éternise sa race
Et brille au grand soleil de l'immortalité.
Montcalm
J'admire, tout ému, ces sentiments sublimes.
Mon âme auprès de toi s'ouvre et, dans l'avenir
Je crois voir nos deux noms en fleurs s'épanouir
Dans les jardins rougis par le sang des victimes.
Parle donc cher d'Assas imprime dans mon sang
Imprime ces pensées fières et pleines de noblesse.
"L'innocence des Montcalm est leur forteresse"
[i]
C'est ce qu'on m'apprenait lorsque j'étais enfant.
d'Assas
Je sais au Canada Québec perdu qui tombe
Aux mains de l'ennemi. Mais la postérité
Rend au noble vaincu l'hommage mérité
Car le preux défenseur qui descend dans la tombe
Comme tous les héros, ne meurt pas tout entier.
Son nom retentira rayonnant dans l'histoire
Et tous les cœurs français garderont sa mémoire.
Mais les pales, Montcalm, est ce mal d'éveiller
Dans ton cœur de soldat ces mots patriotiques ?
Est ce mal de charger à fond sur l'ennemi ?
Est ce mal de porter aux lèvres d'un ami,
La coupe de douleur d'un songe prophétique ?
Montcalm
Mon nom, cher chevalier, mais à ce noir récit
Mon ami de tristesse et de gloire envahir
A la fois de terreur et de joie est saisi.
Oui, tout autour de moi s'éclaire et s'obscurcit
Tour à tour je crois voir les plus profonds abîmes
et l'éclat radieux de l'immortalité
Je descends dans la nuit et dans l'obscurité
Et je monte au soleil vers les plus hautes cimes.
Qu'est cela ?
d'Assas
Le destin ... Voire le châtiment
Le couteau de Damien dans la cour de Versailles
Sans attendre le Roi prédit des représailles.
Oh ! Combien je voudrais dans un pareil moment
Je voudrais de mon bras vigoureux et fidèle
Poursuivre l'agresseur et défendre le Roi.
Oui, d'un preux chevalier la devise et la foi
Sont de rendre la France à jamais immortelle ....
Tous deux, à nos foyers, lorsque venait le soir
Nous écoutions l'aïeul dire les épopées
De nos pères devant les glorieux trophées
D'armes et d'écussons qui dictaient le devoir.
Comment donc oublier ces leçons, ces merveilles.
Dieu ! L'honneur ! la Patrie ! invincibles accents
Mots bénis, les premiers qu'on disait aux enfants.
Sons forts et généreux qui frappaient nos oreilles.
Je vois dans le pays des hordes déchaînées
Abattre avec fureur églises et châteaux
Partout je vois rugir de stupides bourreaux
Poursuivant avant tous les têtes couronnées.
Je vois notre beau lys dans une mer de sang
Et parmi les martyrs fauchés par l'hécatombe,
Les prêtres, les enfants qui roulent vers la tombe,
Je vois coulant des foules issus de premiers rangs.
Et puis spectacle horrible et que je ne puis croire
Au milieu des sanglots et des cris déchirants
(Le ....) jeter à l'eau des cadavres sanglants
Qui viennent tous rougir l'eau pure de la Loire.
Je vois sur l'échafaud comme sur un autel
Je vois monter hélas les royales victimes
Un roi noble entre tous doit expier nos crimes
Mais ce calvaire rend Louis Seize immortel.
Oui, ce fils de nos Rois, du fils de Dieu lui-même
est la profonde image. Et pour deux en mourant
de l'expiation et du pur dévouement
Donnait à l'univers une leçon suprême.
Comment donc oublier ces leçons, ces merveilles !
Dieu ! l'homme ! La Patrie ! invincibles accents
Mots bénis, les premiers qu'on disaient aux enfants,
Sons forts et généreux qui frappaient nos oreilles...
Mais ces nobles accents, les ont-ils entendu
Ceux qui s'enivrant aux fêtes de Versailles
Préfèrent les plaisirs à l'éclat des batailles ?
Tous ceux qui s'engagent dans des sentiers perdus
Adorent le veau d'or comme leur dieu supérieur
Oubliant leur devoir et toutes les vertus ?
Oui, Montcalm, qu'ils soient tous maudits, confondus,
Tous ceux qui contre Dieu préfèrent le blasphème !
Tous ceux qui dans un triste et fol aveuglement
Auprès d'un roi prussien qu'un grand poète encense
Semblent tous oublier qu'ils sont fils de France.
Montcalm
d'Assas, ils reviendront de leur égarement
d'Assas
Oui mais n'entends tu pas la voix du ciel qui crie
Ne vois tu pas l'orage avancer devant nous
Ne vois tu pas tous les éléments en courroux
Ne vois-tu pas saigner le cœur de la patrie !
Est-ce toujours un songe, O cher Montcalm, j'ai peur.
Oui j'ai peur moi d'Assas moi chevalier je tremble
Car je crois lire enfin dans ce lugubre ensemble
Un avenir funeste et qui me fait horreur.
Mais voici nos amis, j'entends déjà leurs voix
J'entends leurs cris joyeux, l'amitié les amène
Ils sont précédés par le baron de Sumène
Et par le marquis de Ginestoux, je les vois.
Chassons, mon cher Montcalm, l'air de la tempête
Faisons pour l'instant fi à nos pressentiments
Cherchons à retrouver les mêmes sentiments
de ceux qui vont venir assister à la f?te.
(fin du 1er acte)