LE JUGE DE PAIX DU CANTON DE SAUVE

Annales politico-judiciaires d'un canton bien tranquille

  

                En 1821, Angélique Castanier avait épousé Antoine-Etienne Julien, fils de potier d'étain et de vitrier, professeur de mathématiques à Alais au moment de son mariage, puis propriétaire foncier à Villesèque où il fait construire le "château". Maire du village de 1835 à 1844, il abandonne cette charge pour devenir juge de paix du canton de Sauve jusqu'à sa mort en 1866.

                Il exerça ces fonctions sous Louis-Philippe, la Deuxième République et le Second Empire avec le même zèle. Il saluait la restauration de l'Empire, le 2 décembre 1852, par une lettre du 6 décembre dont voici des extraits :

                " Sire,

                Après l'acte de sublime énergie que vous avez si vigoureusement accompli le 2 décembre, après le vote si imposant du 20 dudit mois qui avait été dicté par la reconnaissance et encore le 30 septembre dernier lors de votre voyage triomphal dans le midi de la France, le Tribunal de paix du canton de Sauve, plein d'admiration et d'enthousiasme pour votre héroïsme vous a fait d'abord parvenir son adhésion toute spontanée puis ses félicitations les plus sincères et enfin ses vœux les plus ardents pour le rétablissement de l'Empire.

                Aujourd'hui, Sire, que ses vœux et ceux de la France entière sont exaucés, le même tribunal fidèle à sa conviction s'empresse de venir déposer au pied du trône de Votre Majesté, le tribut de ses nouvelles félicitations, de ses hommages et de sa fidélité.....

                ...C'est animés de ces sentiments religieux et patriotiques que les membres soussignés du tribunal de paix de Sauve sont heureux de pouvoir se dire avec le plus profond respect, Sire, de votre Majesté, les très humbles, très obéissants et très fidèles sujets."

 

                Antoine-Etienne Julien, né en 1800, était peut-être un nostalgique de l'Empire. Il est sûr qu'à cette époque, on savait manier la flagornerie. A la fin du XX ème siècle, certaines dédicaces au chef de l'état sont de la même veine !!

 

                Dans le département du Gard, toutes les personnes n'étaient pas aussi bonapartistes que le Tribunal de paix de Sauve. Et la chasse aux opposants entrait dans les attributions du juge de paix lorsqu'il y avait trouble à l'ordre public.

 

                En avril 1848, avaient eu lieu les premières élections au suffrage universel (limité aux hommes puisque les femmes n'obtiendront le droit de vote que cent ans plus tard) pour élire les membres de l'Assemblée Nationale. Le juge de paix avait dans ses attributions la vérification  des listes électorales  et des résultats.

 

                La liste électorale, établie en janvier 1850 pour la commune de Saint-Jean-de-Crieulon, comporte les 48 noms suivants :

   ALBAN     Honoré. 27 ans    Cultivateur     

   ASTRUC   Henri   45 ans   Cultivateur        

   ASTRUC    César   38 ans   Cultivateur        

   BAYLE   François   50 ans   Cultivateur

   BEZ   Etienne   34 ans    Aubergiste       

   BOUDET   Jean Joseph   24 ans    Maréchal           

   BRUGUIER   Pierre   68 ans   Propriétai

   CASTANIER   Félix Justin   41 ans    Propriétaire

   CLAUSEL   François   34 ans   Voiturier

   COMBE   Auguste   27 ans    Domestique      

   COURSIER   François   64 ans   Propriétaire

   DEVILLAS   Jean-Pierre   60 ans   Propriétaire       

   DUBOIS   André   49 ans   Cultivateur        

   DUBOIS   François   40 ans   Cultivateur        

   DUPONT   François   43 ans   Cultivateur

   DURAND   Frédéric   57 ans   Cultivateur        

   FAVANTINE   Auguste   26 ans   Propriétaire

   FERMEAUD   Louis   50 ans   Cultivateur        

   FERRAND   Jules   49 ans   Aubergiste       

   FERRAND   Philippe   27 ans   Aubergiste       

   FROMENTAL   César   22 ans    Domestique      

   GAY   Louis   60 ans   Garde-champêtre            

   GOURDY   Louis,père   55 ans   Meunier            

   GOURDY   Louis,fils   22 ans   Meunier            

   GREVOU   Pierre   40 ans   Cultivateur        

   LAHONDES   Jacques   35 ans   Cultivateur

   LAHONDES   Louis   30 ans    Voiturier            

   MARTIN   Vincent   40 ans   Cantonnier        

   MOURGUE   Jean, père   55 ans   Propriétaire

   MOURGUE   Jean, fils   22 ans   Cultivateur        

   NOGUIER   Jean Pierre   31 ans   Propriétaire

   PAGES   Pierre   56 ans    Berger

   PICARD   Baptiste   42 ans   Maçon               

   PLANTIER   Louis   54 ans   Maréchal           

   RIGAL   Antoine   43 ans   Cultivateur        

   RIGAL   Eugène   24 ans   Cultivateur        

   RIGAL   Etienne   50 ans   Cultivateur        

   RIGAL   Félix   35 ans   Cultivateur        

   RIGAL   Jean   68 ans   Cultivateur        

   RIGAL   Louis   65 ans   Cultivateur        

   RIGAL   Silvestre   27 ans   Cultivateur        

   ROUMAJON   Louis   35 ans   Cultivateur        

   ROUX   Philippe   22 ans   Domestique

   SOUCHE   Thomas, père   56 ans   Voiturier            

   SOUCHE   Thomas, fils   33 ans   Cultivateur        

   SOUCHE   Philippe   23 ans   Commis             

   VALERE   Jules   26 ans   Propriétaire       

   VIALA   Jean   25 ans   Propriétaire       

    Nota : Le premier nom de la liste est erroné car le patronyme est Bertrand et les prénoms Alban et Honoré. Une de ses filles, Marie Rose, épousera Auguste Argelliers de Durfort dont le fils aîné sera dit fils d'Auguste et de Marie Rose Alban.

 

            Dans le canton de Sauve, Adolphe Crémieux, futur ministre n'arrive qu'en huitième position. Le deuxième est Monsieur Favant d'Alès, élu à l'Assemblée Nationale, dont la venue à Sauve le 22 octobre 1850, entraînera quelques désordres dans cette bonne ville. Depuis plus d'un an, Louis-Napoléon est Prince-Président de la République et prépare la restauration de l'Empire.

                Fervent républicain, le représentant Favant est accueilli par des manifestations avec des cris hostiles au régime : "A bas les riches!, Vive le partage!, Vive la guillotine!". Dans la foule, des gens coiffés de bonnets rouges arborent un drapeau tricolore portant l'inscription "Vive la République démocratique, 24 février 1848". Un banquet républicain, à un franc par personne, est même organisé le 23 octobre réunissant cent dix convives.

                " nous, juge de paix, bien convaincu que les démonstrations qui avaient eu lieu à Sauve, les 22 et 23 octobre courant, à l'occasion du passage de Monsieur Favant dans cette ville, avaient un caractère séditieux, nous sommes empressés d'adresser le jour même un rapport circonstancié à M. le Procureur de la République et à M. le Préfet du Gard et c'est d'après l'ordre de M. le Procureur que nous rédigeons aujourd'hui le présent procès-verbal....."

                Dans la foule venue accueillir M. Favant, y avait-il des habitants de Saint Jean de Crieulon ? L'histoire ne le précise pas mais la suite tenterait à prouver que oui.

        Le 13 novembre 1850, le juge de paix du canton et Jacques Amable Garnery, commissaire de police des villes de Sauve et de Quissac, sont chargés de perquisitionner chez divers habitants de Sauve membres du Cercle Démocratique dit "des travailleurs" soupçonnés d'appartenir à une société secrète et de saisir les armes qu'ils pourraient détenir:  Gabriel Millot perruquier, Louis Serret, Jean Hébrard serrurier, François Moinac cordonnier, Lucien Dufour propriétaire, Eugène Malgloire dit le Moine agriculteur, Alexandre Dessombs faiseur de bas, Pierre Sivel faiseur de bas, Emile Fermaud négociant chez lequel sont saisis un certain nombre de papiers politiques, Jules Fermaud, puis, sur un avis anonyme, chez Léon Sarran. Au total 17 fusils de guerre sont saisis que les suspects déclarent détenir au titre de la Garde Nationale.

                 Un an plus tard, après le coup d'état du 2 décembre 1851, un certain nombre de républicains se rassemblent le 6 décembre pour marcher sur Nîmes afin d'y défendre la République en danger. Ils arrivent des communes du canton et la concentration se fait à Quissac. Les ameutés seront arrêtés avant Nîmes et reviendront plus ou moins penauds dans leur village.

                Dans une note confidentielle, le juge de paix donne les noms de 117 insurgés et un avis sur l'état d'esprit des maires des différentes communes.( Liste complète en annexe).

                - à Sauve: Jules Fermaud, armé d'un sabre, seulement; "il paraissait être le chef de la bande"; au total 33 insurgés découverts dont un certain nombre de ceux chez qui on avait perquisitionné en 1850.

                Commentaires du juge : Tout le monde était tranquille à Sauve jusqu'à l'arrivée de Nîmes du Sieur Emile Fermaud qui a poussé à la prise d'armes, on assure qu'il disait publiquement aux insurgés : "Allez et bourrez bien vos balles". Ernest Lairolle, notaire, poussait dès le matin les citoyens à marcher sur Nîmes ; quelques heures après, il dissuadait la bande armée des insurgés en les engageant à ne point partir.

                - un fort contingent d'habitants de Canaules, meneurs, exaltés, entraînés.. au total 32 dont "Henri Aigoin qui est à Canaules ce que Fermaud est à Sauve."

                - Logrian : 20 ; Durfort : 11 ; Savignargues : 9 ; Saint Martin de Sossenac : 2 ; Puechredon : 1 ; Fressac et Saint Nazaire des Gardies : aucun insurgé.

                - Pour Saint Jean de Crieulon :

Maire Monsieur Coursier: opinion politique bonne mais fonctionnaire faible et timide, à tel point qu'il n'a pas eu le courage le 7 décembre courant, malgré l'insistance de plusieurs conseillers municipaux et autres citoyens qui lui avaient prêté main-forte, de procéder à l'arrestation de plusieurs insurgés revenant de Quissac et qui se trouvaient sur le territoire de la commune.

                                Liste des insurgés :

                Pierre Fromental, domestique du Maire,

                Alexandre Coutelle, valet à Comiac,

                Louis Azéma, cantonnier

                César Astruc dit Ledru,

                André Dubois, homme très dangereux,

                Frédéric Durand,

                Eugène Bourguet, domestique de M. Valère qui l'a renvoyé,

                Auguste Gervais, charron,

                Honoré Alban, gendre à Martin.

                Note : Pour mieux comprendre l'ordre de présentation, il faut remarquer que M. Coursier a été maire de Saint Jean de Crieulon avant et après A.-E. Julien (y avait-il quelque contentieux municipal entre eux ?) et que M. Valère est le gendre du juge.

 

                A la suite de cette note, une enquête est ouverte:

 "Le juge de paix du canton de Sauve invite les nommés César Astruc, Auguste Gervais, charron, Alban Honoré, Louis Azéma, cantonnier, à se rendre jeudi prochain 15 du courant à 8 heures du matin, en son cabinet d'audience particulière situé en l'hôtel de ville à Sauve pour être entendus touchant une affaire dont il leur sera donné connaissance.

                                                               Sauve, le 13 janvier 1852 "

 

                Extraits des brouillons des interrogatoires :

                "Le 21ème témoin a dit se nommer César Astruc, agé de 35 ans, marié, propriétaire agriculteur demeurant à Saint Jean de Crieulon, lequel dépose comme il suit:....."

                En résumé, il admet avoir alerté certaines personnes du village le 6 décembre au matin pour aller secourir Nîmes où les gens s'égorgeaient pour fait d'opinion religieuse.

                Les autres témoins admettent faire partie d'une société secrète : La Société de la Montagne à Durfort dont l'objectif est la défense de la république et des droits et a pour devise : Ardeur, Action, Avenir. On décrit même au juge la cérémonie d'initiation.

                Certains de ces républicains furent poursuivis et soumis à la surveillance de la haute police par la commission mixte du département du Gard. D'autres jugés plus dangereux furent exilés en Algérie qu'il fallait bien peupler maintenant que la conquête était presque achevée.

                Pour la seule ville de Sauve, treize personnes furent soumises à la surveillance de la police, deux à vie et les autres jusqu'à nouvel ordre. En octobre 1856, une certaine clémence du pouvoir accorde un affranchissement provisoire de la surveillance de la police à Auguste Seguin, Jules Fermaud, Jules Hébrard, Alexandre Bruguier et Henri Dubois.

                au début de l'année 1856, Jean Antoine Bres transporté politique en Algérie, réfugié à Barcelone en Espagne sollicite son recours en grâce. Soutenue par le maire de Sauve, cette demande est acceptée le 19 mai 1856.

               

                Dans un rapport daté du 28 juin 1858, le juge écrit:

".....Les idées des surveillés politiques, au nombre de quatre, qui sont encore tenus de se présenter mensuellement devant moi paraissent s'être profondément modifiées. Ces hommes, du reste à peu prés nuls en raison de leur manque total d'instruction, de leur fortune et de leur position sociale, n'inspirent qu'une espèce de pitié à la grande majorité de la population qui traite d'insensée, cette persistance qu'on leur suppose à penser que les idées qu'ils ont rêvées finiront par avoir leur accomplissement. Au reste, on ne peut leur reprocher aucun acte, aucune manifestation qui soit de nature à faire croire qu'ils nourrissent encore cet espoir."

                 Dans notre région, les consciences ne se laissent pas aisément violer et, quatre ans après cette "révolte", le juge de paix avait dû instruire une affaire d'injures envers Sa Majesté l'Empereur, mettant en cause dix habitants de Canaules dont six ont été poursuivis après l'affaire de 1851 et deux encore soumis à la surveillance de la haute police.

                 En 1855, les maires ayant été nommés par les autorités, il s'agissait d'élire, le 5 août, les membres du conseil municipal de la commune. Une liste avait été préparée par des modérés mais quelques habitants qualifiés dans les procès-verbaux de "socialistes et de démagogues" avaient cabalé pour se faire élire au conseil municipal. De plus, dans les deux auberges de Canaules, ils auraient tenu des réunions politiques au cours desquelles ils auraient traité sa Majesté, l'Empereur de: "coyon et d'ane....et que son gouvernement était composé tout de mangeurs et de fainéants!".

                Donc, sur plainte du maire, les quatre gendarmes de la brigade de Sauve chevauchent jusqu' à Canaules pour enquêter sur cette affaire délicate. Au vu des rapports de la maréchaussée, Monsieur le juge de paix entend dix personnes soupçonnées d'avoir "cabalé" et "outragé sa Majesté l'Empereur" dont Jean Pépin, Emile Durand, Louis Loubatière, Jean Aguze et Henri Aigoin déjà nommé à propos de l'affaire de décembre 1851. Les brouillons de la justice de paix de Sauve ne disent pas ce qu'il advint de ces patriotes.

 

                Quelques années plus tard, en 1861, le juge de paix entend des témoins à propos d'une information contre Monsieur Astruc, ancien curé de Durfort, qui, dans ses sermons des 17 février, 14 et 21 avril lors de ses adieux à la paroisse, aurait émis des jugements sur la politique du gouvernement à l'égard du clergé. Il est accusé d'avoir dit que "les évêques sont mis au rang des vendeurs de chaussons", "il y a persécution contre les prêtres accusés de troubler les consciences", "nos têtes sont de celles que l'on coupe, mais que l'on ne peut faire plier en fait de religion ; nos langues sont de celles que l'on coupe mais que l'on ne peut faire taire lorsqu'il s'agit de notre religion et des intérêts de notre Saint Père le Pape".

                Dès le 1er mai, le juge entend les témoins :

- les trois premiers, Nicolas Suc, Baptiste Villa et Fortunée Fesquet femme de Jean Braissans, ont la facheuse habitude de dormir pendant les sermons ;

- Antoine Bougette se souvient seulement des appels à rester dévoué à la religion ;

- Henri Florent Argelliers de Baruels, le 14, il n'était pas à la messe à Durfort et le 21, il arriva alors que le curé descendait de la chaire ;

- Etienne Baile, Léonce Fermaud, Félice Bouet, Etienne Turc, Pierre Roussel n'ont rien entendu des phrases litigieuses ;

- Rose Lafont, Soeur Attilie, religieuse enseignante est interrogée ainsi que Soeur Sainte Renée.

                Le 8 mai, c'est l'audition des choristes : Caroline Argelliers 18 ans, Célestine Cabane 18 ans, Elisa Reboul 13 ans et même Anaïs Reboul agée de 10 ans qui n'ont rien entendu de politique dans les sermons incriminés.

                Ce bon curé a dû être mis sous la surveillance de la haute police.

 

                Sous l'Empire, depuis 1857 au moins, les juges de paix étaient tenus de transmettre au Procureur Impérial un rapport trimestriel portant sur la situation politique, économique et morale de leur canton.

                 Quelques extraits du rapport du 1er trimestre 1861:

- Situation politique: ..l'attitude des partis est calme et aucune agitation ne s'est manifestée. La question romaine qui est entourée de tant de difficultés peut bien être diversement appréciée par mes justiciables, mais tout le monde est d'accord pour en confier la solution à la sagesse et à la prudence de l'Empereur qui, seul, a le bras assez fort pour écarter tous les obstacles... L'accueil bienveillant que l'Empereur a fait aux délégations du Gard, de l'Hérault et de l'Aveyron venues demander la création de diverses voies ferrées a grandement réjoui les habitants du canton qui espèrent voir se réaliser le projet...partant de Rodez, traverserait le canton pour aboutir à la Méditerranée........mésintelligence entre le commissaire de police et la gendarmerie... chacun faisant du zèle.....

 

- Situation économique : Toutes les industries manufacturières, celle des fourches exceptée, sont dans un état tout à fait prospère; les bras manquent....plus de cent ouvriers de Sauve ont quitté la ville pour aller travailler les vignes ou en planter dans le bas-pays... cependant il n'existe entre les dits ouvriers aucune coalition pour faire augmenter le prix du travail... l'industrie des bas et bonnets donne du travail à tout le monde depuis le vieillard jusqu'aux jeunes enfants....le prix des fourches a chuté de moitié faute d'accord entre les propriétaires... la récolte des vers à soie, qui jadis faisait toute la richesse du canton, est nulle depuis quelque temps... impôt foncier et cherté de la main d'œuvre entraînent un certain malaise chez les propriétaires de biens ruraux dont le rendement est nul..

 

- Situation morale: la situation morale ne s'améliore pas et la bonne foi est une vertu rare.......j'ai continuellement à apaiser des dissensions familiales, à régler des intérêts opposés entre proches parents qui se vouent une haine atroce qu'il est impossible d'adoucir. Les bonnes mœurs proprement dites laissent toujours beaucoup à désirer, je pourrais même dire, que dans ce moment, il y a recrudescence dans le mal."

                 Le lecteur pourra comparer avec le régime de liberté dont il jouit en cette fin du XXème siècle et pourtant jugé insuffisant par certains.

 

                Si le rôle du juge dans ces affaires politiques a été détaillé c'est qu'il éclaire les relations des citoyens avec leurs institutions politiques à une certaine époque. Mais le juge de paix s'occupait surtout d'affaires beaucoup plus locales. Ainsi en 1861, condamna-t-il 147 personnes à une amende et 13 à l'emprisonnement pour les motifs suivants:

                Embarras de la voie publique, injures simples non publiques, jeux de hasard, bruits et tapages injurieux ou nocturnes, voies de fait et violence légère, ouverture indue des auberges, jet d'immondices par les fenêtres, glanage ou grappillage, passage sur le terrain d'autrui chargé de récolte, maraudage sans sacs ni paniers, pacage et pâturage sur le terrain d'autrui, poids et mesures, contravention à la police du roulage, mauvais traitements aux animaux, livrets ouvriers irréguliers, ....

                 Il faut ajouter à ces délits les enquêtes en cas de suicide, d'adultère, de recherche de paternité....et même à Fressac pour savoir quel était le meilleur emplacement pour la boite aux lettres commune!

 

                 Dans ce déferlement de crimes ou délits que se passait-il à Saint Jean de Crieulon?

                En 1846, le juge de paix avait enquêté sur la mort d'Isaline, âgée d'environ un an, fille naturelle de Suzanne Bourguet dont la cause de la mort était "inconnue et suspecte", peut-être uniquement parce que la mère n'était pas mariée.

                 En 1852, César Astruc avait été interrogé dans le cadre de l'Affaire du 6 décembre 1851 ; en mars 1853, il est condamné, avec son frère Henri, à une amende pour avoir coupé des chênes verts sur la propriété de Justin Castanier (le beau-frère du juge), le bois restitué au légitime propriétaire et les outils ayant servi au délit confisqués. Dans cette affaire, le garde-champêtre de la commune, le Sieur Gay, avait été particulièrement efficace.

                 C'est encore la vigilance du garde-champêtre qui va permettre de découvrir un crime qui a dû faire jaser dans les chaumières de Villesèque pendant un certain temps. En janvier 1858, le juge de paix doit enquêter sur une affaire d'avortement mettant en cause une certaine Marie Clavel et ses complices, l'ex-futur père et la "faiseuse d'anges".

                En juillet 1857, Monsieur Coursier, maire de Saint Jean de Crieulon, engage comme servante Marie Clavel qui venait de travailler deux mois, aux vers à soie, chez le Sieur Cazaly de Beaucous, un proche parent du maire. Ce bon Monsieur Coursier n'a pas de chance  en choisissant ses domestiques et d'ailleurs il ne sera pas réélu maire en 1858. A la mi-décembre 1857, Marie Clavel tombe malade et est reconduite dans sa famille le 20 décembre.

                Quelques jours après, les langues se délient et le garde-champêtre apprend, le 6 janvier 1858, que Marie Clavel était enceinte des oeuvres du fils Cazaly qui, ne voulant pas l'épouser, lui a donné de l'argent pour aller voir à Anduze la veuve Canonge qui sait préparer des potions capables de faire périr les fruits des amours défendues, moyennant 100 francs. Le prix est à la hauteur des risques pris.( En effet, un franc-or du XIX siècle correspond à environ 17 de nos francs 1993).

                L'enquête confirme les faits mais les peines infligées sont inconnues.

                 Le juge de paix avait eu à intervenir dans un tout autre registre lors du décès, le 3 mai 1848, du Sieur François Ferrand percepteur de l'arrondissement de perception de Canaules résidant à Saint Jean de Crieulon, en posant des scellés  sur les objets dépendants du dépôt public dont le défunt était chargé. Le sieur Chauvet est chargé de la garde des scellés.

                Quelques jours plus tard, les scellés sont levés devant les témoins suivants:

- le citoyen Jean Casimir Poulon, percepteur,

- la citoyenne Françoise Verdeille, veuve du percepteur défunt,

- les héritiers dudit percepteur: Alexandre, Philippe, Léonce et Elise Ferrand,

- le citoyen Joseph Chauvet, gardien des scellés.

                Les documents et le numéraire sont remis au représentant de l'administration.

                Six ans plus tard, les scellés sont à nouveau posés sur la maison Ferrand après la mort de Madame veuve Ferrand, née Jeanne Verdeille, du fait de l'absence d'Alexandre Ferrand, l'un des fils de la défunte, qui était à l'armée sous les drapeaux.

                Le 20 décembre 1854, Jules Ferrand vient trouver le juge dans sa maison de Villesèque pour faire lever les scellés, son frère Alexandre étant présent. La levée est faite sur le champ en présence de:

- Jules Ferrand, propriétaire domicilié à Saint Jean de Crieulon,

- Philippe Ferrand, aussi propriétaire à Saint Jean,

- Léonce Ferrand, propriétaire habitant Durfort,

- Caroline Ferrand, épouse de Monsieur Runel dont elle est assistée, habitant Salinelles,

- Alexandre Ferrand, propriétaire, Maréchal-des-logis Chef au 2ème escadron du 4ème Régiment de Dragons en garnison à Lyon,

- Monsieur Jules Valère, gardien des scellés.

                " Nous, juge de paix, avons donné acte aux susnommés seuls héritiers de la défunte......avons déchargé mondit sieur Valère de la garde des scellés et notre commis greffier des clefs à lui remises....."

 

                A proximité de Villesèque, le juge avait eu à enquêter sur le vol de huit dindes à Montplaisir. Le Sieur Gaubiac régisseur de M. Clausel, le propriétaire, soupçonnait un certain Scipion Pradille qui avait posé beaucoup de questions sur Montplaisir pour savoir si quelqu'un y logeait en permanence ; le sieur Gaubiac habitant ailleurs. L'enquête innocenta Scipion Pradille de ce délit car il put fournir un alibi en partie à cause d'une interpellation pour braconnage et parce qu'il était allé voir sa mère à Durfort.

 

                Antoine-Etienne Julien est décédé en fonction, à l'âge de 66 ans ; ce vénérable serviteur de Thémis et de la justice de paix est enterré à Villesèque. Il n'a laissé à personne le soin de le louanger dans l'épitaphe, écrite en latin, gravée sur sa tombe :

                "Aus STEPHis JULIEN IN REGIONE SALVICE JUDEX OBITUS. PIUS FILIUS CONJUX FIDIS PATER FACILIS FUIT: IN PATRIAM QUAM ADAMAVIT TRANSLATUS INTER SUOS ET CIVES. QUIESCAT JUDICANTI RESPONSIRES

                                                               Christe Eleison  21 janvier 1866"

qui peut être traduit par : Antoine Etienne Julien juge du canton de Sauve. Il fut un fils respectueux, un mari fidèle, un père bienveillant. Ramené dans le village qu'il aimait parmi les siens et ses concitoyens. Qu'il repose en attendant de répondre à Celui qui juge.

 

Retour Mes travaux                Retour Table des chapitres            Suite de l'historique