LES
TEMPS MODERNES
Curieusement, ou en raison de ce qui vient d'être dit, c'est le hameau
de Villesèque qui, le premier, apparaît dans les textes anciens : le
cartulaire de l'abbaye bénédictine de Psalmody, à coté d'Aigues-Mortes,
parle dès 1292 de Villa Sicca, qui peut se traduire par "domaine, lieu
sec". D'autres "Villa Sicca", bâtis sur des points hauts sont
aussi devenus Villesèque dans le Lot ou Villesèque de Corbières dans l'Aude.
En revanche, toujours dans l'Aude, Villesèquelande, Villa Sicca en l'an 908 est
un domaine créé sur une zone asséchée (autre traduction du mot sicca).
Dans les dénombrements de populations de 1384 et 1435, le village n'apparaît
pas. C'est seulement dans la "Tariffe universelle du diocèse de Nîmes,
suivant la délibération tenue en l'an 1582" de Claude Combes éditée à
Nîmes en 1598 qu'apparaît le nom de "Sainct-Iean-de-criolon, balhage de
Sauve". En 1637, des documents citent la " Communauté de
Saint-Jean-de-Crieulon".
En 1674, dans les insinuations ecclésiastiques du diocèse de Nîmes, il
est fait mention du "Prieuré-Cure de Saint Jean de Crieulon de Villesèque".
En 1737, on parle du "Prieuré-Cure de Saint Jean de Crieulon et Villesèque".
Enfin à la Révolution, athéisme oblige, on ne parle plus que de "
Crieulon ".
La paroisse dépendait :
- au spirituel du diocèse de Nîmes et était rattachée à l'archiprêtré
de Quissac. Le prieur était désigné par l'évêque de Nîmes. Le prieuré
valait 1200 livres.
La communauté protestante de Villesèque était rattachée à la
paroisse de Durfort qui appartenait au colloque de Sauve de la Province des Cévennes
et Gévaudan.
- au judiciaire : d'abord de la viguerie de Sommières, puis du bailliage
de Sauve après sa création à la fin du XVIème siècle.
- au temporel, depuis 1520, de la baronnie de Vibrac.
La famille Duranc ou Ranc, d'origine espagnole pour les uns ou
locale pour les autres - ce patronyme étant commun dans la région et il
existait bien avant l'époque de Christophe Colomb de riches marchands portant
ce nom susceptibles du fait de cette richesse d'acheter des terres nobles -
acheta le domaine de Vibrac au début du XVIème siècle, y fit construire un château dans lequel elle demeura jusqu'à la Révolution. Ce domaine initial,
agrandi de possessions circonvoisines, devint la "Terre de Ranc" érigée
en baronnie en 1520. Elle donnera naissance aux communes de Saint Jean de
Crieulon et Saint Martin de Sossenac.
A la Révolution, après l'éphémère Crieulon, la paroisse de Saint
Jean de Crieulon devint la commune du même nom amputée de quelques écarts,
rattachée au canton de Sauve, arrondissement du Vigan dans le département du
Gard.
De nos jours, un poétique "30610"
remplace tout cela!
Il est curieux de noter que le nom de cette commune ne s'applique à
aucun habitat ce qui entraîne parfois quelques difficultés pour les étrangers
au village. A toute proximité, il en est de même pour Saint Nazaire des
Gardies, Conqueirac... et bien d'autres.
QUELQUES
FAITS HISTORIQUES.
L'histoire du Languedoc est marquée par l'ascension de la Maison de
Toulouse puis sa destruction après la fameuse Croisade des Albigeois au début
du XIII ème siècle. Passée dans le domaine royal, la région connut une période
de paix relative et de développement troublée de loin en loin par les
redoutables épidémies de peste et le passage de bandes armées, anglaises à
une époque, mercenaires à la recherche d'engagement et de butin à une autre.
Pour la paroisse, la vie s'écoulait au rythme des travaux agricoles et
des saisons. Le passage régulier des troupeaux transhumants par la grande
Draille au printemps et au début de l'automne auxquels se joignaient ceux de la
paroisse était une source de distraction et une ressource pour l'amendement des
terres.
Le chemin de Régordane dont
la branche Alés-Montpellier passait dans la plaine par Lézan, Canaules,
Puechredon permettait peut-être d'avoir des nouvelles du monde extérieur mais
aussi véhiculait-il de grandes peurs fondées ou non. Lorsque le Gardon était
en crue, le charroi était dévié et peut-être traversait-il le hameau.
Après le déclin du chemin de Régordane, le chemin d'Anduze à Sommières,
traversant le village, amène des clients à l'auberge et de la pratique au maréchal
et encore plus au cordonnier car la majorité des voyageurs allait à pied.
C'est à nouveau pour une affaire de conscience que le drame va éclater.
Dès le milieu du XVI ème siècle, la religion réformée se répandit en France
et trouva un terreau favorable en Languedoc et en Cévennes. Certains voient
dans ce phénomène une conséquence lointaine du catharisme.
Mais le roi de France, roi de droit divin, oint à Reims, ne pouvait ni
comprendre ni admettre que certains de ses sujets eussent une autre religion que
la sienne. Le principe " cuius regio eius religio" était admis dans
toute l'Europe et le peuple changeait de religion avec son prince.
La question se posait avec d'autant plus d'acuité en France, que la
religion réformée touchait une fraction non négligeable de la population dont
des aristocrates et des gens de métier possédant une certaine instruction
puisque capables de lire la Bible.
N'y eut-il eu, parmi les religionnaires, que des croyants le problème
aurait pu être réglé pacifiquement mais la présence des princes et la création
du Parti Huguenot entraîna d'abord des heurts puis des guerres de religion qui,
à l'instar des guerres civiles, sont souvent plus meurtrières que les guerres
étrangères.
Seuls l'avènement du roi Henri IV et la promulgation de l'Edit de Nantes
purent ramener le calme et la concorde entre les adeptes des deux religions.
Pour des motifs religieux mais surtout de politique intérieure ou extérieure,
les rois Louis XIII et surtout Louis XIV s'employèrent à réduire les libertés
accordées aux protestants.
Il est poignant de lire les protestations des villes huguenotes voulant
persuader le roi que les protestants, malgré leur religion différente, sont
des sujets obeïssants et respectueux alors que le gouvernement royal les tient
pour des ennemis de l'intérieur, une "cinquième colonne" toute prête
à aider leurs coreligionnaires d'Allemagne, de Hollande ou d'Angleterre.
A partir de 1679, une série d'ordonnances réduisit petit à petit les
droits religieux et civils des protestants: interdiction d'exercer certains métiers
ou offices (notaire, chirurgien,....) ou d'employer de la main d'œuvre catholique.
Bien sûr, le Premier Consul (maire) des villes devait être catholique ce qui
n'était pas sans poser de graves problèmes dans certaines villes où
subsistaient deux ou trois familles catholiques dont les membres ne savaient pas
ou mal écrire.
Enfin, en 1685, la révocation de l'Edit de Nantes constatait, dans
l'esprit du roi et sur la foi de renseignements tronqués transmis par les
Intendants et les Evêques, la disparition de la Religion Prétendue Réformée
(R.P.R.). On sait maintenant quelle erreur politique et économique fut cet acte
qui dressa contre le pouvoir les mal convertis et entraîna le départ vers l'étranger
de 200 000 personnes, courageuses pour tout abandonner et refaire leur vie dans
un pays inconnu mais protestant, et aussi, souvent, maîtres dans leur métier.
Le Grand Prince-Electeur de
Brandebourg ne s'est pas trompé en signant, 21 jours après la révocation de
l'Edit de Nantes, l'Edit de Postdam concernant les "droits, privilèges et
autres biens-faits" au profit des "Evangéliques-Réformés de Nation
Française". Cet édit contenait des dispositions concernant :
- l'aide matérielle pour le trajet, les formalités d'immigration et la
création des foyers,
- l'assistance à la création d'entreprises, l'exonération de certains
impôts,
- la liberté du culte en français, la création des églises et d'écoles
(le très renommé lycée français de Berlin existe encore)((le culte luthérien
est ici pratiqué par la majorité de la population sauf le souverain qui est
calviniste)).
- la juridiction française pour les affaires franco-françaises avec
magistrat français et le choix d'arbitres pour les affaires franco-allemandes,
- les nobles français avaient les mêmes droits que les nobles
brandebourgeois.
Il n'est pas douteux que cette attitude éclairée et
opportuniste a permis aux huguenots d'origine française de participer à l'élévation
du Prince de Brandebourg devenu Roi de Prusse puis Empereur d'Allemagne.
L'histoire ne peut être refaite, mais sans cette funeste révocation de 1685
aurait-on eu le même futur en Europe?
Si Saint Jean de Crieulon ne compte aucun fugitif, en revanche Sauve en
compte plusieurs dizaines dont des Dufour, marchands et propriétaires de Sebens,
qui ont fait souche à Halle en Prusse. Une de leurs descendants est venue à
Sauve en juin 1993 et y a rencontré une cousine hollandaise descendant d'un
Isaac Affourtit allié aux Dufour de Sebens qui, lui, avait choisi la Hollande
pour y faire souche.
Les ordonnances royales, pour sévères qu'elles étaient envers les
protestants, avaient été aggravées par le zèle de l'Intendant de Languedoc -
Nicolas Lamoignon de Basville - qui, après avoir sévi en Poitou, arriva en
Languedoc en septembre 1685 soit un mois avant la révocation. Cet
"ambitieux","roi et tyran du Languedoc" considérait que les
huguenots étaient doublement coupables : comme rebelles et comme hérétiques.
Son éducation chez les jésuites n'est sans doute pas étrangère à cette façon
de voir les choses.
Tous les moyens étaient bons pour convertir les hérétiques ; quand le
denier de Judas était inopérant, les "missionnaires bottés"
entraient en action à savoir les dragons encouragés aux pires excès. Pour que
ces troupes soient plus proches de leur zone d'engagement, Basville fit
construire les casernes de Sauve et celles du Château des Gardies sur la
paroisse de Saint Nazaire des Gardies.
Le déplacement des troupes, en octobre 1685, peut être suivi en
consultant les registres des abjurations dont celui de Sauve:
- le 2 et le 4 les dragons se rapprochent: 73 et 78
abjurations d'adultes,
- le 5 ils sont à Quissac : 478 abjurations.
Au total, du 2 au 6 octobre, 694 adultes et 376 enfants, soit 1070
sauvains en quatre jours. Ces chiffres hallucinants traduisent bien le drame vécu
par ces populations. Saint Jean de Crieulon n'y a pas échappé comme la suite
le montrera.
Après Sauve, les troupes se dirigent vers Saint Hippolyte de
Roquefourcade (qui ne deviendra du Fort qu’après la construction en 1687
d’un fort sur des plans de Vauban) où les abjurations commencent le 8
octobre. D’autres détachements de dragons agissent dans les vallées des
Gardons. Saint Jean de la Gardonnenque abjure les 10 et 11 octobre, Lasalle les
13, 14 et 15 octobre 1685.
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