B - Le travail préparatoire.
Avant de suivre par le menu le travail sur le terrain de nos leveurs de plans en cette fin d'été 1750 – les sieurs GLEIZES, LENFANT, POMIER et FORTIN - je voudrais ouvrir une brève parenthèse sur le matériel dont ils disposaient.
Et nous constatons que depuis les Romains le matériel n'a guère changé : le niveau à bulle d'air qui a remplacé le niveau à eau, associé à une règle de visée permet de déterminer les directions ; utilisé conjointement avec une règle à coulisse équipée d'une mire pour mesurer les dénivelées, une chaîne pour mesurer les distances et des jalons intermédiaires que l'on fait construire par le menuisier du village et ferrer par le serrurier. Et pour "graphiquer" une planchette pour noter tout les résultats.
Il y a quarante ans, jeune
sous-lieutenant d’artillerie, j’utilisais presque le même matériel sur le
polygone topographique de Châlons-en-Champagne, ci-devant Châlons-sur-Marne,
pour déterminer avec la précision du centimètre les coordonnées du point de
station, parfois en écartant la neige pour pouvoir tracer la visée avec le
crayon, dont la mine finement appointée permettait d’obtenir la précision
voulue. Il s’agissait d’art à l’état pur quand on connaît les
dimensions du rectangle de dispersion d’un obus d’artillerie[x].
De nos jours, l’intelligence des obus peut remplacer le savoir des hommes.
Les leveurs de plans sont au travail :
le Sieur FORTIN, autre sous-inspecteur venu de Paris, dans sa note de frais pour la période d'août 1750 à fin juillet 1751 indique qu'il a levé les plans de La Bastide à La Salvetat et de La Salvetat à Aubenas en 20 jours (93 km par les routes actuelles) avec un aide payé 20 sols par jour ; Du Puy à La Salvetat en 4 jours (22 km).
Il a payé :
- pour un niveau avec sa règle de 12 pieds (4 m)… 6 £
- pour une perche de bois sapin de 21 pieds (7 m) faite à coulisse avec sa mire pour dénivellée.... 12 £
- pour 6 jalons ...3 £ 6 sols
- au menuisier de Mayres pour deux perches de 24 pieds (8 m) ... 12 £
- au serrurier pour avoir mis des liens à une perche que le vent avait coupé en deux....12 sols
Pour la période se terminant en décembre 1751, l'état des dépenses faites par le Sieur POMIER « sous-inspecteur de la Généralité de Paris et employé à la nouvelle route du Languedoc par l'Auvergne », pour la levée des plans de ladite route et autres frais, nous donne un aperçu de ses activités :
- visite de la route proposée par la communauté des Vans par Saint Ambroix, Les Vans, Le Petit Pau ( la transcription par cet homme du nord des noms locaux réserve quelques surprises - l'étude de la carte montre que cet itinéraire pouvait suivre la vallée du Chassezac en amont des Vans puis celle de la Borne pour aboutir vers La Bastide-Puylaurent) et Langogne, y avoir fait quelques opérations pour reconnaître s'il pouvait être praticable ;
- visite des deux routes par temps de neige ;
- 30 juillet et suivants avoir accompagné Mgr l'Intendant pour la visite des deux routes ;
- 16 août et suivants levée d'une partie du plan de la Chapelle de Bon Secours à Joyeuse (4 km) ;
- 28 août et suivants loyer d'un cheval pour aller reconnaître le terrain entre St Ambroix et Maison Neuve (20 km) ;
- 6 septembre et suivants levé des plans d'Aubenas jusqu'à l'Ardèche où se termine mon département jusque et y compris La Chapelle, le tout sur 2000 toises (4 km) de largeur ;
- papier pour minute et une douzaine de crayons fins que j'ai fait venir de Montpellier...10 £ 16 sols.
Début novembre, POMIER qui est en train de lever les plans entre Joyeuse et Aubenas, écrit à l'Intendant car il n'a pas été payé depuis le 1 juillet (200 £ par mois). Il est payé aussitôt.
En cette fin d'année 1751, les ingénieurs lèvent les plans de la future route par le Vivarais et estiment le coût des ouvrages à construire.
L’une de mes consoeurs m’a signalé que l’un des leveurs de plan avait vécu une aventure peu banale :
S’étant arrêté dans une auberge de Saint-Ambroix, son accent et sa mise plus recherchée que celle de la clientèle habituelle l’avait fait prendre pour un prédiquant huguenot clandestin – il eut quelque mal à s’expliquer pour être libéré et reprendre son travail sur le terrain.
La polémique sur le choix entre Gévaudan et Vivarais n'est cependant pas terminée :
le 27 octobre 1751, le Sieur BAYLE écrit à Monseigneur l'Intendant de Languedoc pour lui faire part que les habitants de Villefort et de Bayard sont tout à fait satisfaits qu'une nouvelle route soit construite mais ils refusent les contraintes que cela pourrait occasionner : élargissement de la voie à l'intérieur des villes donc expropriation des maisons ......
Le 12 décembre 1751, la lettre suivante est adressée au ministre :
"La route du Gévaudan ne présente pas les obstacles insurmontables annoncés....mais le signataire est effrayé par les ouvrages à faire dans la côte de Mayres ... on soutenait faussement qu'il y avait plus de 6 000 toises de différence entre les deux routes (12 km). .. L'abandon de la route par le Gévaudan priverait le pays d'une voie de communication qui fait sa richesse.
La vérification du chemin d'Alais jusqu'à la Salvetat en passant par Villefort donne une longueur totale de 57 043 toises (114 km) dont 33 012 (66 km) en plaine ou en pente dont la réduction peut être faite au dessous de 3 pouces (4%), 19 431 toises à 3 pouces, 2 893 à 4 pouces et 1 707 à 4 pouces et quelques lignes.( environ 6%).
Dans sa conclusion, l'auteur suggère rien de moins que de surseoir à la levée des plans qui sont exécutés dans le Vivarais"
Le choix par le Vivarais est confirmé et le levé des plans continue
un peu trop lentement selon le ministre qui en mai 1753 presse l'intendant
d'accèlérer
les choses.
Enfin, en 1759 les adjudications des ouvrages d'art sont faites et les travaux peuvent commencer. Il semble qu'à partir de ce moment, le Sieur POMIER soit le maître d'oeuvre unique.