A - Le choix d'un itinéraire.         

           

             Géographiquement le Languedoc oriental pourrait être défini comme un amphithéatre partant dans sa partie basse d’une plaine littorale méditerranéenne limitée, même fermée, au nord par les Cévennes et à l'est par le Rhône qui formait pendant longtemps une frontière historique sinon un réel obstacle géographique.

La présence dans la province de villes importantes et de ports avait fait naître le besoin de liaisons avec l'arrière pays cévenol et par delà vers l'Auvergne, aussi bien comme source d’approvisionnement que comme débouché pour les productions de la plaine.

Pendant des siècles, le chemin de Regordane, voie directe d'Alès au Puy, avait servi à cet usage. Je laisse le soin aux historiens patentés de discerner son origine romaine ou non. Artère économique majeure, mais aussi chemin de pélérinage vers St-Gilles et ce, au moins, jusqu’à la fin du Moyen-Âge.  Au XIIIè siècle, on continue à construire à Génolhac et à Luc des maisons avec de grands portails pour accueillir des « charrettes toutes chargées ». Mais la Guerre de Cent ans a sensiblement ruiné l’activité économique de la plaine et le chemin de Regordane moins utile est moins utilisé et donc moins entretenu d’où une dégradation qui va en s’accélérant. Dès 1590, un transport de poudre entre Nîmes, Montpellier et Pradelles n’est effectué par roulage que sur certaines portions de l’itinéraire ; pour les autres le portage à dos de mulets est la seule solution. En 1668, la conclusion de la « visitation » faite par M. de FROIDOUR [i] est que le chemin est si « ruiné, abismé, anéanti qu’il ne suffirait pas d’y faire quelques réparations pour le rendre propre à la circulation mais qu’il faut en faire un autre tout nouveau ».

   Malgré les conclusions de Louis de FROIDOUR, cent ans plus tard rien n’a changé et le trafic économique s’est reporté pour la plus grande part dans la vallée du Rhône.

 

            M. de SAINT-PRIEST [ii], intendant de Languedoc, dans un mémoire écrit vers 1761-1762 rappelle les buts économiques et retrace l'historique de la création d'une nouvelle route de Languedoc à l'Auvergne.

            « Il y a longtemps que le conseil était occupé des moyens d'établir une route de communication entre l'Auvergne et le Languedoc pour le versement plus facile des denrées de ces deux provinces limitrophes et même pour l'exportation des marchandises de la Foire de Beaucaire, du Comtat et du Dauphiné jusqu'à Paris en trouvant un point de réunion pour les faire embarquer sur la Loire, plus l'avantage de pratiquer une route pour les voyageurs et pour les voitures publiques moins longue et qui fut moins interrompue par les débordements du Rhône que celle de Lyon. »

 

 

            La volonté politique de créer un bon réseau de voies de communications rayonnant autour de Paris vit le jour en 1738 sous la forme d'une circulaire envoyée aux intendants portant instruction d'ensemble pour les ponts et chaussées. Partant du principe que les intendants pouvaient disposer de plus d'hommes que de crédits, le recours généralisé de la corvée allait rendre réalisable la planification des travaux, la prévision des crédits budgétaires et donc un programme d'ensemble visant tant à l'élargissement, redressement et remise à neuf des routes existantes, qu'à l'ouverture de voies nouvelles.

           

            En 1743, la nomination de Daniel Charles de TRUDAINE [iii] comme "ministre de l'équipement" va placer un homme capable et énergique aux commandes pour vingt six ans. Dès sa nomination, il voulut presser la réalisation des voies prévues par l'instruction de 1738.

Pour cela il lui fallait réunir deux préalables : la qualification indiscutable des ingénieurs et un lever des plans de routes permettant la rectification des tracés, la prévision des voies à créer et la délimitation des zones des paroisses corvéables.

Pour réaliser ces deux objectifs il créa l'Ecole des Ponts-et-Chaussées en 1747 et un bureau de dessinateurs pour exécuter cet énorme travail cartographique.

            Est-il utile de rappeler que la première carte générale moderne de la France est celle de Cassini commencée vers 1750 et terminée seulement en 1815 et qui fut la première carte établie en s'appuyant sur une triangulation géodésique.

                 

.

L’instruction du Roy stipule :     

« Une route ayant été construite de Clermont au Puy et soit continuée dans le Languedoc et qu'à cet effet la Province contribue de la somme de 500 000 livres à la dépense dudit chemin évaluée, selon le devis du Sieur de CLAPIES [iv], à 1 141 095 livres ; laquelle somme il sera fait fonds par lesdits Etats en huit années consécutives à raison de 62 500 £ par an. Sa Majesté se réservant de pourvoir au surplus de la dépense.

            De ce fait, le projet doit être exécuté par les ordres de S.M. et à la direction du Sieur Intendant de la Province, elle nommera un ingénieur pour aller sur les lieux faire un nouveau devis.....

            Par raison d'économie, ce ne seront pas les commissaires locaux qui seront chargés de la direction des travaux. »

            Ces diverses instructions ont été portées à la connaissance des Etats (de Languedoc) qui prirent une délibération du 19 décembre 1748 :

1- Consentement pour 500 000 £ et pas plus et éventuellement moins si possible.

2- Direction des travaux à l'ingénieur du Roy. Payements subordonnés à la signature des commissaires du Roy et des Etats.

3- De nouveaux devis seront faits par l'ingénieur du Roy accompagné du Sieur Pitot, directeur des ouvrages publics de la Province.

4- Modération de la douane de Gannat (20 km ouest de Vichy) au même pied que celle de Lyon.

5- Demande que les soies étrangères puissent passer librement sur la nouvelle route.

            Les points 6 et 7 de la délibération portaient sur la suppression des droits à la douane de Gannat après l'expiration du bail et la construction d'un pont sur l'Allier.

            Cette délibération a été autorisée par Arrêt du Conseil du 2 septembre 1749. Pour les adjudications on s'en tiendra aux règles de la Province.

.

           

            Le choix de l'itinéraire entre Le Puy et Alais fut la cause principale du retard dans l'exécution. Certains tenant pour la trace de l'ancien chemin de Regordane c'est-à-dire par le Gévaudan et d'autres pour une voie nouvelle par le Vivarais.

           

Ce choix devra être fait par M. POLLART qui reçoit en juin-juillet 1750 :

"Le Mémoire pour servir d'instruction au Sieur POLLART, Inspecteur général des ponts et chaussées chargé par le Roy de faire, en présence du Sieur PITOT [v], directeur des ouvrages publics de la province de Languedoc dans la Sénéchaussée de Beaucaire et Nîmes, les devis et estimations des ouvrages à faire pour établir une route de communication de Paris en Languedoc par l'Auvergne, depuis Le Puy jusqu'à Alais."

            Ce mémoire commence par :

"Le Sieur POLLART, partant de Paris,... il doit examiner tout l'itinéraire en liaison avec les intendants des provinces traversées.... il entrera dans la province de Languedoc par Le Puy conjointement avec le Sieur POMIER sous-inspecteur qui partira de Paris et DOUSSAC autre sous-inspecteur qu'il trouvera en Auvergne..... il devra construire la nouvelle route du levant au midy dans les hautes montagnes afin que la neige n'y séjourne pas et qu'elle soit moins exposée aux glaces...... la pente maximale sera de 5 à 6 pouces[vi] par toise sur 50 ou 200 toises au plus[vii], ....la largeur de 60 pieds dans les endroits ouverts mais ne devra pas être inférieure à 24 pieds[viii] en observant que les tournants aient une largeur suffisante pour prévenir tous les accidents..... »

 

            L'inspecteur général des ponts et chaussées se met en route et le 7 septembre 1750 la visite est finie.

    Le 16 septembre 1750, POLLART envoie son compte rendu d'inspection au ministre et ses conclusions sont nettes :

            « La route par Langogne, Vilfort (Villefort), Genouillac (Genolhac) est très difficile ; on ne pourra, sauf dépenses considérables, y faire passer des voitures publiques et la poste. La neige dure de trois à quatre semaines sur quinze lieues. Les sujets du Roy qui emprunteront cette route ne seront pas en sûreté.

            Celle par Aubenas sera plus facile à l'exception de la côte de Mayres, montée à cheval en 1 h 30 ; la neige ne dure qu'une semaine sur cinq lieues. Cette route pourrait ne coûter que deux millions ; celle par Villefort six à huit ».

           

            Ce compte rendu est daté du 16 septembre et, déjà, le 20 septembre le ministre TRUDAINE écrit au Sieur POLLART pour  "lui ordonner de lever le plan de la route par Aubenas, ponts et ouvrages pour établir un bon devis. Après avoir lancé ce travail, il devra se rendre dans une autre partie de la province pour surveiller la construction d'un canal sans, pour autant, cesser d'activer les leveurs de plans.

            Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

signé  Trudaine

            PS: Vous deviez m'envoyer vos observations sur les routes que vous avez parcourues. Je n'ai rien reçu. Il m'est seulement revenu qu'en y passant vous y aviez fait beaucoup de bruit et des plaintes des entrepreneurs. Ce n'est pas ce que je vous avais chargé de faire.

 

            Cette lettre appelle les remarques suivantes :

* soit le ministre a déjà fait le choix de l'itinéraire par le Vivarais avant même d'avoir reçu le CR de POLLART,

* soit il considère que la route par le Gévaudan n'a pas besoin d'être levée car il s'agirait uniquement de l'amélioration d'une voie existante.

sur la forme, j'admire la politesse exquise avec laquelle le ministre donne des ordres ou fait des remarques à son collaborateur.

           

            Dès 1716, BASVILLE [ix] avait envisagé de créer une route Montpellier - Paris en prenant une option ouest via Lodève, Millau, Marvejols, St-Chely, St-Flour. Elle ne sera réalisée qu'à la fin du siècle d'où le fameux pont de Gignac.

 

Mais, en 1750, le ministre a décidé que le point de départ vers le sud serait LE PUY. Aussitôt les habitants de cette bonne ville écrivent au ministre pour le remercier d'avoir fait le bon choix. On les comprend quand on se rend compte des retombées économiques liées à une voie aussi importante.

Lire la suite                Retour "Sommaire"